
Pour beaucoup d’observateurs et de fans, Opeth était un groupe en pleine crise d’identité depuis une dizaine d’années. Fini le Death Metal rugueux, place au Metal Progressif classieux avec la participation de Steven Wilson aux manettes de la production, au grand dam des nostalgiques comme moi de Blackwater Park ou de Ghost Reveries. Mais les Suédois ont encore plus d’un tour dans leur sac, et The Last Will and Testament est là pour remettre les pendules à l’heure.
En première écoute, le constat est clair : Opeth a retrouvé du mordant. Mikael Åkerfeldt ne fait pas semblant et se décide enfin à renouer avec ses growls d’antan. Dès §1, on sent qu’il a quelque chose à prouver. Et ce n’est pas qu’une illusion : cette fois, Opeth n’a pas juste saupoudré du Death Metal sur un album progressif, ils ont bel et bien refait entrer le côté extrême dans l’équation. C’est subtil, mais diablement efficace.
Musicalement, on est sur un menu gastronomique cinq étoiles (vous l’aurez compris, j’aime manger). Les morceaux s’enchaînent sans temps mort, et on retrouve un Opeth en grande forme, oscillant entre envolées lyriques, orchestrations magistrales et accès de violence parfaitement dosés. Le groupe varie les ambiances avec un talent insolent : théâtral sur §4, oppressant sur §6, et même teinté de sonorités orientales sur §3 et §5. Chaque piste apporte son lot de surprises, sans jamais perdre le fil conducteur d’une narration sombre et immersive.
Mais ce qui frappe avant tout, c’est la maîtrise technique. Les musiciens sont au sommet de leur art : Åkerfeldt jongle entre voix claires et growls avec une facilité déconcertante, Waltteri Väyrynen (ex-Paradise Lost) s’impose comme un monstre derrière les fûts, livrant des patterns complexes, des roulements éclairs et des breaks ciselés à la perfection, notamment sur §6. Côté guitares, les riffs alternent entre lourdeur écrasante et finesse mélodique, avec des passages en fingerpicking délicats et des solos d’une fluidité hallucinante. Les harmonies tissées entre les deux guitares évoquent tour à tour King Crimson et les heures de gloire du death progressif. Martin Méndez, quant à lui, brille par sa basse agile et omniprésente, proposant des lignes sinueuses et groovy qui viennent enrichir chaque transition avec une profondeur remarquable. Mention spéciale à la participation de Ian Anderson (Jethro Tull), dont la flûte et la narration ajoutent une touche baroque et grandiloquente.
Avec The Last Will and Testament, Opeth réussit un tour de force. Cet album pourrait bien réconcilier les fans de la première heure avec ceux qui ont adoré le virage prog du groupe. Varié, intense et immersif, il s’impose déjà comme l’un des grands crus de l’année. Une seule question reste en suspens : sur scène, l’expérience sera-t-elle aussi à la hauteur de l’opus ?