Il y a des groupes pour qui jouer du metal est un choix artistique, une simple passion. Pour Al-Namrood, c’est un acte de défiance qui pourrait leur coûter la vie. Le nom du groupe se traduit par « non-croyant », une étiquette lourde de sens dans un pays où leur musique est considérée comme une menace. Contraints à l’anonymat, incapables de se produire sur scène sous peine d’exécution, ils persistent pourtant depuis 2008. Al Aqrab, sorti le 9 juin dernier sous le label Shaytan Productions, marque leur dixième album studio.
L’évolution sonore du groupe est manifeste. Là où Wala’at (2020) embrassait un chaos brut et abrasif, Al Aqrab adopte une approche plus nuancée, plus construite, tout en conservant cette noirceur oppressante qui caractérise leur style. Ce disque est aussi marqué par l’arrivée d’un nouveau chanteur, Artiya’il, en remplacement de Humbaba depuis 2022. Son timbre ajoute une nouvelle dynamique tout en respectant l’aura vénéneuse d’Al-Namrood. Pourtant, les morceaux d’ouverture, Ardh Bela Sama et Lisan Al Nar, auraient gagné en impact avec plus de vélocité et d’intensité.
Al Aqrab s’oriente davantage vers une atmosphère pesante plutôt que la fureur primaire de son prédécesseur. Moins de chaos, mais une exploration approfondie des sonorités arabes, à travers l’usage des gammes orientales et d’instruments traditionnels. Bien que le livret ne précise pas la liste exacte des instruments, on perçoit distinctement la présence du oud et du qanun, deux éléments qui ancrent le son du groupe dans une identité musicale unique. Taht Al Jeld en est un parfait exemple : un morceau instrumental qui sert de transition avant que Al Ghasasina ne vienne raviver la tension avec un regain d’agressivité.
C’est un tournant dans l’album. Dès ce moment, les guitares se font plus tranchantes, comme si le groupe sortait d’un état léthargique. Diar Al Anbat est un point culminant du disque : une dissonance hypnotique, un son étouffé en arrière-plan qui renforce cette sensation de chaos maîtrisé, et une dynamique qui accroche immédiatement. Abwab Edom poursuit sur cette lancée, confirmant que la seconde moitié du disque est plus viscérale et percutante que la première.
Comme toujours, Al-Namrood chante exclusivement en arabe, une revendication qui fait écho à leur combat contre l’oppression. Le dernier morceau, Tarjif, surprend par son approche à la fois punk et speed metal, un choix audacieux qui fonctionne étonnamment bien et clôture l’album sur une note inattendue. Avec une durée d’un peu plus de 40 minutes, Al Aqrab laisse une impression contrastée : des passages saisissants, mais une exécution parfois inégale.
Al-Namrood force le respect par son engagement et sa résilience, mais ce n’est peut-être pas leur œuvre la plus aboutie. Malgré tout, Al Aqrab a ses éclats de génie et mérite qu’on s’y attarde, notamment pour ceux qui cherchent à explorer des territoires musicaux moins conventionnels. Parce qu’après tout, le black metal scandinave finit toujours par tourner en rond à force de répétition.